Titularité des droits sur les logiciels développés par un employé

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Il est indéniable que la titularité, l’exploitation et la protection des droits de propriété intellectuelle constituent des enjeux majeurs aussi bien pour les entreprises que les établissements de droit public. Force est par ailleurs de constater que cette tendance s’est renforcée depuis l’entrée de notre société dans l’ère numérique. Corollairement, la maîtrise des droits d’exploitation sur les résultats de l’activité innovante de leurs employés est devenue une thématique centrale pour ces entités dans leur stratégie de structuration de leur activité de recherche et développement et de valorisation de leurs actifs immatériels.

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A l’origine de cet arrêt, une chercheuse avait été engagée par la Faculté de biologie de l’Université de Lausanne en qualité d’assistante doctorante du 1er juillet 2006 au 30 juin 2011, période durant laquelle elle avait conçu des logiciels innovants destinés à analyser le mouvement et le comportement des fourmis. Bien que le cahier des charges liant l'Université à la chercheuse ne mentionnait pas explicitement le développement de logiciels, il stipulait qu'elle devait réaliser un « travail de thèse ».

Après avoir constaté que le contrat de travail était soumis au droit public et donc régi par la Loi sur l’Université de Lausanne (LUL), le Tribunal fédéral a estimé qu’il n’y avait pas lieu de remettre en question les considérations de l’autorité inférieure selon lesquelles l'article 70 al. 2 LUL, régissant le transfert des droits d'utilisation des programmes informatiques créés par des collaborateurs dans le cadre de leur activité professionnelle, prévoit un régime similaire à celui prévalant dans les rapports de travail de droit privé, soit celui régi par l'article 17 de la Loi fédérale sur le droit d’auteur et les droits voisins (LDA), aux termes duquel « [l]’employeur est seul autorisé à exercer les droits exclusifs d’utilisation sur le logiciel créé par le travailleur dans l’exercice de son activité au service de l’employeur et conformément à ses obligations contractuelles ».

Cette approche se heurte à une interprétation systématique de ces dispositions. En effet, l’article 70 al. 2 LUL prévoit que « [l]es droits exclusifs d'utilisation des programmes informatiques créés par les membres du corps enseignant dans l'exercice de leurs activités au sein de l'Université reviennent à cette dernière ». Il apparaît dès lors que l’article 70 al. 2 LUL n’exige pas, à l’inverse de l’article 17 LDA, que le logiciel soit créé par l’employé « conformément à ses obligations contractuelles ». Le régime de droit public de l’article 70 al. 2 LUL est ainsi plus favorable à l’employeur que ne l’est le régime de droit privé de l’article 17 LDA, dès lors qu’il suffit qu’un logiciel soit créé dans l’exercice de l’activité au sein de l’Université pour que cette dernière soit titulaire exclusive des droits d’utilisation relatifs au dit programme informatique.

L’appréciation de la Cour civile du Tribunal cantonal et du Tribunal fédéral est d’autant plus paradoxale que ces autorités semblent s’être intéressées bien plus à la question de savoir si le cahier des charges de l’employée s’étendait à une activité inventive en matière de logiciel, c’est-à-dire si le logiciel en cause avait été développé par l’employée conformément à ses obligations contractuelles (pour reprendre la terminologie de l’art. 17 LDA), qu’à celle de savoir si le logiciel en cause avait été réalisé par l’employée « dans l’accomplissement de son travail »  au sens de l’article 70 al. 2 LUL.

Néanmoins, l’approche suivie dans cette affaire par les autorités judiciaires, soit de se référer à l’article 17 LDA, présente l’avantage de voir le Tribunal fédéral revenir sur les conditions figurant dans cette disposition, en particulier celle de logiciel « créé par le travailleur dans l’exercice de son activité au service de l’employeur » (i) et celle de logiciel créé par le travailleur « conformément à ses obligations contractuelles » (ii). Cet arrêt fournit par ailleurs certaines informations sur la manière dont ces autorités entendent interpréter cette seconde condition en présence d’un cahier des charges peu détaillé.

Plus précisément, au considérant 3.3 de l’arrêt examiné, le Tribunal fédéral a rappelé que les deux conditions précitées étaient non seulement cumulatives, mais également interdépendantes, c’est-à-dire que « si l’employé accomplit une obligation contractuelle, il agit forcément dans l’exercice de son activité ». La (seule) question est donc celle de savoir s’il existe un lien entre la création du logiciel et l'activité de l'employée au sein de l'entreprise. En revanche, le Tribunal fédéral a souligné qu’il n’était pas essentiel de déterminer si l'employée avait créé le logiciel pendant ses heures de travail, pendant son temps libre, sur son lieu de travail ou ailleurs.

Dans le cas d’espèce, le Tribunal fédéral est arrivé à la conclusion que même si le développement de logiciels n'était pas explicitement mentionné dans le cahier des charges de l’employée, la seule mention de « travail de thèse » englobait toutes les actions liées à l'accomplissement de la thèse. Or, il avait été prouvé que les logiciels créés étaient « un outil indispensable à la rédaction de la thèse de l’intéressée et que son travail n’aurait pas pu aboutir sans leur utilisation » (consid. 5.2.4). Par conséquent, c’était à bon droit que l’autorité inférieure avait admis que les conditions de l'article 70 al. 2 LUL étaient remplies, ce qui avait pour conséquence que, bien que l’employée conservait la qualité d’auteur des logiciels, les droits patrimoniaux sur ces derniers revenaient à l'Université.

Cette décision souligne l'importance de définir le sort des droits de propriété intellectuelle préalablement au déploiement de l’activité inventive, c’est-à-dire au moment de la conclusion du contrat de travail, afin d’éviter les aléas d’une interprétation judiciaire parfois peu prévisible des obligations contractuelles de l’employé. Il s’agit notamment de :

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Liste

<ul><li>Clarifier la titularité et le transfert éventuel des droits de propriété intellectuelle dans les contrats de travail. En effet, il est essentiel pour les parties d’établir le régime souhaité. A ce sujet, rappelons que l’article 17 LDA relatif aux logiciels de service, à l’instar de l’article 332 al. 1 du Code suisse des Obligations (CO) relatif aux inventions et aux designs de service, est de nature dispositive de sorte qu’il permet l’établissement de certains aménagements. En outre, le régime légal est incomplet en ce sens qu’il ne traite que des logiciels, à l’exclusion des autres œuvres protégées par la législation sur le droit d’auteur. Un complément contractuel à ce sujet apparaît dès lors nécessaire.</li></ul>

<ul><li>Etablir le régime souhaité en matière d’inventions réservées. Les inventions réservées sont celles réalisées par le travailleur durant le temps de travail, mais en dehors de l’accomplissement de ses obligations contractuelles, étant rappelé que le régime prévu par le Code des obligations à l’article 332 al. 2 à 4 CO n’est applicable qu’en présence d’une clause en la forme écrite.</li></ul>

<ul><li>Définir l’étendue des obligations contractuelles du travailleur en matière d’activité inventive. Il semble pouvoir être déduit de l’arrêt analysé dans cette contribution que les autorités interprètent largement la notion d’«&nbsp;obligation contractuelle&nbsp;» en matière d’activité inventive du travailleur, mais cet arrêt démontre surtout le caractère peu prévisible de l’étendue de cette notion. Aussi semble-t-il prudent d’en délimiter contractuellement les contours.</li></ul>

<ul><li>Réglementer la titularité des droits sur les résultats de l’activité inventive réalisée en dehors d’une relation de travail. En effet, tant l’article 332 CO (relatif aux inventions et aux designs) que l’article 17 LDA (relatif aux logiciels) ne s’appliquent qu’en présence d’un contrat de travail au sens des articles 319 ss CO. En dehors d’une telle relation contractuelle, notamment en présence d’un contrat de mandat ou d’entreprise, sous réserve de l’art. 393 al. 2 CO en matière de contrat d’édition, la question de la titularité des droits de propriété intellectuelle est régie exclusivement par la volonté des parties au contrat, de sorte qu’il est vivement conseillé de formaliser le régime convenu de manière documentée.</li></ul>

<a href="/fr/" target="_blank" rel="noreferrer noopener">sigma legal SA</a>, <a href="/fr/equipe/alain-alberini/">Alain Alberini </a>et Maxime Francis

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